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Il y a quelques jours, j’ai eu la chance d’interviewer Pierre Vidal, le Directeur Science du groupe AVIV (SeLoger, Meilleurs Agents..). Mon objectif était de comprendre comment cela fonctionnait dans leur moteur, quels étaient les enjeux d’AVIV et comment ils voyaient évoluer les outils liés à la data immobilière dans les prochaines années. Bien évidemment, j’ai ouvert avec une question qui revient souvent : « Que font-ils avec la donnée des agents immobiliers? N’est-ce pas un risque de leur fournir toutes ces data ? ». Réponses ci-dessous.

Vincent Lecamus : AVIV récolte beaucoup d’informations de la part des agents immobiliers, cela est parfois perçu comme une menace pour eux-mêmes et pour le futur de la profession. Comment répondez-vous à cela ?

Pierre Vidal : Les agents immobiliers sont nos clients, notre priorité, on est donc là pour les aider à faire leur métier. Ce qu’on fait avec leur données c’est la travailler pour en sortir une information en laquelle les particuliers peuvent avoir confiance et de se servir de cette information comme un pont entre nos utilisateurs particuliers et nos clients professionnels.

La donnée fournie par les pros de l’immobilier n’est qu’une partie de nos sources de données. Elle nous  permet de construire des indicateurs et de les rendre les plus justes possible, mais c’est loin d’être la seule. Il faut bien comprendre que la donnée récoltée auprès des agents n’a de valeur que si elle est mise en commun. Pour cela, il faut en avoir suffisamment pour qu’elle devienne intéressante et éviter les biais, ce qui n’est pas possible à l’échelle d’une seule agence. Ensuite, il faut être capable de la croiser, de la traiter. Ne serait-ce que la dédupliquer est un travail complexe et minutieux. Et ça, c’est seulement pour la rendre fiable et pouvoir l’exploiter. C’est après que le travail commence…

Maintenant, il faut de l’expertise pour tirer une information utile de cette donnée. Concrètement, chez AVIV, l’équipe data c’est 40 personnes dont la plupart sont docteurs ou ingénieurs. En ce moment, 4 thésards travaillent sur nos différents indicateurs de marché et sur les analyses que l’on peut en tirer. Cet investissement dans la recherche et dans les équipes scientifiques est singulier dans le paysage immobilier français. C’est un des héritages de l’approche historique de Meilleurs Agents, qui infuse aujourd’hui dans l’ensemble du groupe Aviv.

Seloger La Donnee Recoltee Aupres Des Agents Na De Valeur Que Si Elle Est Mise En Commun

Passons maintenant à la seconde partie de ta question. On ne revend pas aux agents leur propre donnée.. Nous construisons un ensemble cohérent d’indicateurs sur les marchés immobiliers. Pour résumer : des indices d’évolution temporelle, des cartes des prix et un outil d’estimation. On livre ensuite cette donnée gratuitement à l’ensemble des acteurs du marché pour apporter de la transparence. Et c’est bénéfique pour tout le monde, le particulier comme le professionnel.

En économie, l’asymétrie d’information n’est pas bonne pour un marché. Plus on œuvre à la diminuer, plus on facilite le travail de l’agent immobilier. L’objectif est de fournir une vision d’ensemble à tous les acteurs. Ainsi, ils ont un référentiel commun sur lequel ils sont d’accord et peuvent commencer à échanger. Cela facilite le dialogue et tout le monde est plus serein. AVIV fournit les grands ensembles pour poser les bases. C’est ensuite au professionnel de l’immobilier de prendre le relai et de rentrer dans le détail sur son terrain. Il sera toujours meilleur que nous sur cet aspect local.

Justement, cette partie, c’est aussi ce qui fait la différence. Le flux de vendus. Vous êtes les seuls à l’avoir et c’est grâce aux agents immobiliers…

PV : Oui, on récupère le flux de biens vendus. C’est avant tout un outil qui permet au pro de montrer qu’il a vendu, de démontrer sa performance et de décrocher de nouveaux clients transformés sur notre plateforme qui attire les prospects vendeurs. Bien entendu, ça nous permet aussi d’avoir l’information 6 mois avant qu’elle soit disponible ailleurs et d’être plus précis, de rendre le marché plus transparent. Mais dans tous les cas, on la retrouvera dans la base DVF ou sur la base des notaires quelques mois plus tard.

A propos de transparence et de partage de la donnée, il y a deux sujets intéressants :

  • La France est un des pays les plus avancés d’Europe sur ce sujet. Il y a beaucoup de données en open data et les clients immobiliers ont accès à une mine d’informations. On travaille en Belgique et en Allemagne et ils sont encore très loin de cette transparence. Pourtant, les professionnels n’ont pas plus de parts de marché.
  • A l’inverse, il existe un pays bien plus avancé que la France, ce sont les Etats-Unis. Allez regarder le nombre de data disponible sur les plateformes américaines. Cela va très loin. Et pourtant, cela ne réduit pas les parts de marché des professionnels, puisqu’aux Etats-Unis, 90% des ventes passent par une agence.

Le partage de données apporte du business. La transparence aussi. Et nous, on croise un très grand nombre de data pour en apporter le maximum. Cela équilibre la relation particulier-agent et  permet au conseiller immobilier de montrer son expertise à un public qui a le même niveau d’information que lui. Tout le monde y gagne.

Aviv sur la donnée immobilière : La France Est Un Des Pays Les Plus Avances Deurope Sur Le Partage De Donnees

Pour entrer dans le détail, on exploite plein d’autres données. En Île-de-France, on a la base BIEN, la base des notaires, qui ont compris la valeur que cela avait pour eux de partager la donnée. En région, on ne l’a pas encore mais cela finira par se démocratiser.

On exploite aussi les fichiers de l’INSEE, qui sont une mine d’or en informations, bien organisées – on a encore une fois de la chance en France sur ces sujets. Sur ces fichiers, on retrouve des informations hyper intéressantes comme le taux de chômage, les revenus médians et moyens, les parts par CSP dans une ville, etc. On utilise aussi bien entendu la base DVF, les données du cadastre, les bases des adresses de la Poste, tous les outils statistiques publiques de l’IGN, qui ont le mérite d’être mis à jour régulièrement et d’être stables dans le temps. On peut ajouter l’open data de plus en plus accessible et l’imagerie satellite.

Depuis peu, on commence aussi à s’intéresser aux interactions sur nos plateformes. On constate que c’est un reflet numérique assez pertinent de ce qui se passe dans le monde réel, avec un indice de fiabilité qui diffère selon les zones géographiques. Mais pour donner un exemple, on peut facilement identifier un marché de report sur nos plateformes quand on constate que ceux qui regardaient à Paris 19ème regardent maintenant à Pantin, puis à Romainville. Cela nous donne des informations assez fiables et nous permet d’imaginer de nouveaux outils qui vont simplifier l’expérience immobilière demain.

De nouveaux outils? Justement, quelle exploitation faites-vous des données? Quels outils fournissez-vous aux agents?

PV : Chez AVIV, comme je te le disais, notre plateforme s’organise autour de trois grands indicateurs :

Les indices de prix

Il s’agit d’indicateurs statistiques utilisés pour mesurer les variations temporelles des prix d’un type de logements particuliers dans une zone géographique définie. Pour la France, c’est près d’un millier de ces indices, qui couvrent l’ensemble du territoire, qu’on met à jour chaque mois.

Indices Immobiliers Par Seloger
Quelques exemples de points de données visibles sur seloger.com pour une ville moyenne Française (saurez-vous deviner laquelle ?)

Les cartes de prix

Il s’agit ici de mettre un prix sur la dimension la plus importante d’un bien : sa localisation. Nous mettons un prix sur chaque localité française, le plus précisément possible. Dans les plus grandes villes, on descend jusqu’au niveau de l’adresse. Les cartes obtenues permettent de constater l’hétérogénéité spatiale du marché immobilier.

Prix De Limmo En France Par Seloger
La carte interactive des prix de l’immobilier disponible sur seloger.com

L’outil d’estimation

Ici, il ne s’agit plus d’isoler les dimensions temporelle ou spatiale, mais pour un bien donné, avec sa localisation et ses caractéristiques propres, d’estimer sa valeur de marché. Concrètement, notre algorithme va chercher parmi les ventes des dernières années les biens les plus comparables, estimer combien ces derniers se vendraient aujourd’hui et en déduire une valeur pour le bien de l’utilisateur.

Estimation Immo Par Seloger
Outil d’estimation immobilière disponible sur seloger.com

Comment ces outils vont-il évoluer ?

PV : On améliore ces 3 outils constamment. Notre volonté est d’apporter de plus en plus de granularité. Car un système qu’on n’améliore plus, c’est un système qui se dégrade.

On cherche donc à renforcer constamment le niveau de précision. Aujourd’hui, on est autour de 10% d’écart sur une estimation, voire jusqu’à 7-8%  dans les plus grandes villes. C’est une belle évolution, mais le professionnel reste meilleur que nous, il n’y a pas de sujet là-dessus. Quoi qu’il en soit, nous souhaitons continuer à réduire cette marge d’erreur pour nous rapprocher le plus possible de 0. Pour apporter plus de fiabilité au marché. Et comme je te l’ai précisé plus haut, même dans un monde où l’on serait aussi juste que le professionnel, cela ne changerait pas leur business. La valeur ajoutée du conseiller immobilier est ailleurs. On le voit bien sur les marchés américains où des plateformes annoncent moins de 5% d’écart avec les ventes réelles. Cela n’a aucune incidence sur les parts de marché des pros.

Avec AVIV et notre développement  international, on a dû montrer qu’on était capable de déployer notre savoir-faire à l’étranger. On a lancé nos outils en Allemagne et en Belgique. Maintenant que c’est fait, on va pouvoir travailler sur de nouvelles fonctionnalités.

Mon objectif est d’aller vers une vision moins statique du marché immobilier. Un premier exemple : on a sorti en fin d’année dernière un outil pour savoir s’il est préférable d’acheter ou de louer un même bien, selon le contexte ou le projet du client. Et je pense qu’on peut aller beaucoup plus loin. Comme je te le disais, avec l’analyse de ce qui se passe sur nos plateformes, on peut imaginer des outils d’aide à la décision. Même si pour le moment, ce n’est qu’un rêve, j’aimerais pouvoir dire aux professionnels : « En mettant le bien à ce prix là, vous aurez 4 contacts dans les 2 semaines ». Il faut différencier la valeur d’un bien et le prix avec lequel on veut attaquer un marché. Et c’est justement la compétence du professionnel. C’est lui qui connaît les besoins du vendeur, nous on a pas les histoires derrière les ventes.

Alors, on veut l’accompagner en lui fournissant les outils pour faciliter son marketing et sa relation client. Le marché nous envoie des signaux qu’on peut capter en regardant ce qui se passe sur nos sites. On veut partager ce savoir avec les agents. Un autre exemple que je pourrais te donner concerne l’offre. « Faut-il ou non que mon client accepte l’offre que vient de faire un acheteur? Quel pourcentage de chance a-t-il d’en avoir une meilleure? ». On doit accompagner les professionnels et les particuliers pour que la rencontre se passe dans les meilleures conditions.

Un autre axe qui nous intéresse en ce moment, c’est l’analyse des images, des textes et des photos satellites. Aujourd’hui, on sait que 2 biens immobiliers avec des caractéristiques similaires peuvent avoir 35% de différence sur le prix de vente final. Malheureusement, on ne voit pas derrière la porte des biens.

En analysant ces données, on pourrait y voir plus clair et accompagner encore plus précisément le marché. Par exemple, en fournissant de nouveaux outils aux professionnels. Nous serons en capacité de leur suggérer la photo du bien à mettre en avant, ou leur indiquer s’il manque une photo importante : « vous parlez d’un balcon, il n’y a pas de photos de balcon sur votre annonce, c’est dommage ». À terme, on pourrait même sortir des statistiques, voire des thèses de recherche sur l’impact de tel ou tel élément sur la performance d’une vente immobilière. Sur l’ensemble des sites Aviv, on a plus d’un million de photos à analyser chaque jour, on est en train de mettre en place ce qu’il faut pour le faire de manière industrielle et fiable, toujours dans l’optique d’apporter le maximum de valeur ajoutée à la profession.

Et avec l’Intelligence artificielle, ça va encore accélérer les choses, non?

PV : On fait déjà de l’IA depuis longtemps. Maintenant, il faut différencier les intelligences artificielles. En ce moment, le buzzword est lié à l’arrivée des LLM, les modèles de langage comme ChatGPT. Nous faisons du Machine Learning depuis plusieurs années, qui est une autre forme d’intelligence artificielle. L’analyse d’image par exemple est basée sur du machine Learning, certains de nos algorithmes pour définir les prix aussi. Nous sommes très avancés sur ce sujet.

Concernant le LLM ou à l’IA générative, c’est autre chose. Ce qui est intéressant, c’est que cette technologie est arrivée à un premier stade de maturité. Pour moi, c’est un nouveau médium. C’est un moyen novateur pour l’utilisateur d’interagir avec nos sites et les données que l’on produit. Mais pour que ça ait de la valeur, il faut fournir à ce genre de système de la donnée fiable et vérifier qu’il ne se trompe pas dans sa retranscription. C’est ce qui fera la différence entre les outils qui surfent sur la vague et ceux qui s’inscrivent sur le long terme.

On réfléchit évidemment à des projets pour faciliter la vie de nos clients, basés sur des modèles conversationnels type ChatGPT. D’ailleurs, on a lancé un premier projet pilote en Belgique pour effectuer des recherches immobilières en langage naturel. On a des équipes produit dédiées à ces différents sujets.

Des nouveautés sortiront certainement bientôt. Je ne peux pas t’en dire plus. Mais ça ira dans le sens de nos deux objectifs principaux, à savoir augmenter le niveau de compréhension du marché et simplifier les interactions sur le marché immobilier entre les acteurs professionnels et particuliers.

Marché Immobilier Et Données Immobilière, Le Point De Vue Du Groupe Aviv

Cet article concerne SeLoger (Portails immobiliers).

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à propos

Article rédigé par Vincent Lecamus

Passionné par l'innovation, Vincent est en veille constante pour dénicher les technologies et tendances qui vont impacter le secteur immobilier. Quand Vincent n'est pas occupé comme journaliste sur Immobilier 2.0, il développe de nouveaux projets entrepreneuriaux et coach des ... Lire la suite

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