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Le MIPIM fêtait ses 30 ans. Le soleil était au rendez-vous. Les promoteurs, les investisseurs et les aménageurs des villes du monde entier aussi. Pour ceux qui ne connaissent pas le MIPIM, c’est un des plus grands salons immobiliers du monde, qui se déroule à Cannes pendant 5 jours. Cette année, il a accueilli plus de 26 000 personnes sur le thème « Engaging the future ». Et qui dit futur, dit innovation, et donc Proptech dans l’immobilier. Mais pas que.
La cérémonie a été ouverte par Ban Ki-moon, qui a aussi rappelé les enjeux écoresponsables à tous les protagonistes : « En tant que leaders de l’économie et de l’immobilier, votre mission est de déterminer comment créer un monde meilleur. Un monde durable et responsable, où chacun devrait pouvoir vivre en bonne santé, bien nourri et éduqué. Je vous le demande, parce que je vois des gens agir comme si nous avions tous un plan B, mais malheureusement, nous n’avons pas de planète B… »
Et non. D’autant que les villes risquent de concentrer l’essentiel des populations d’ici quelques années (dizaines d’années?). Les professionnels de l’immobilier en sont conscients. Les villes ont des besoins qu’elles expriment clairement : sociaux, économiques, écologiques. Et la profession s’adapte pour proposer des solutions adéquates. C’est dans son ADN.
Aujourd’hui, tout donne l’impression que ça va plus vite : la dégradation de la planète autant que la démocratisation de la technologie. Mais un bâtiment met autant de temps à se construire, et doit être construit pour tout aussi longtemps. Alors, comment intégrer des solutions durables dans un environnement qui demande des résultats à court terme? Est-ce que la réponse vient des startups?
J’en entends beaucoup (des startups) dire que les professionnels de l’immobilier ne sont pas ouverts à la nouveauté, ne voient pas le monde qui bouge à côté d’eux. Que dans « immobilier », il y a « immobile ». Il y a un fond de vérité dans ce discours, mais la problématique est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Les pros de l’immobilier (constructeur, promoteur, gestionnaire, investisseur, etc.) sont souvent là depuis longtemps et maîtrisent leur métier. Ils connaissent les risques et les enjeux. Ils savent ce qui fonctionne, ce qui peut fonctionner et ce qui a peu de chances de fonctionner. Ils doivent s’adapter constamment aux nouvelles réglementations et normes. Et, bien entendu, aux besoins et usages des villes.
Et ça s’est clairement ressenti sur les tables rondes. L’innovation et l’envie d’anticiper sont là. On a pu écouter les professionnels de l’immobilier parler de technologie, de vivre ensemble et des villes de demain. Leurs objectifs sont nombreux :
- Construire durable.
- Réduire la consommation des bâtiments. Les rendre plus intelligents.
- Construire des bâtiments modulaires, répondant aux espaces de demain. Ou construire réversible.
- Réduire les coûts et les délais de construction.
- Intégrer les bâtiments aux quartiers et aux villes.
- Améliorer la vie des locataires, qui sont de plus en plus perçus, à juste titre, comme des clients.
- Anticiper leurs besoins.
- Fournir des services supplémentaires et complémentaires.
- Créer des communautés autour des lieux.
- Améliorer la gestion des bâtiments et diminuer les coûts de gestion.
- Savoir où et quand investir, vendre.
- Faciliter la réservation de logement et la transaction.
- Faciliter l’obtention de permis, de parcelles, de data.
- Fluidifier! De la réflexion du projet à la livraison. Et même après.
La liste n’est pas exhaustive. Mais ça donne une idée des enjeux des professionnels et de leurs besoins. Une étude de EY, que vous pourrez trouver ici pour ceux que ça intéresse, note 6 défis prioritaires pour les professionnels de l’immobilier :
1. Recruter
83 % des entreprises du secteur souhaitent recruter d’ici à 3 ans, mais 74 % rencontrent des difficultés pour trouver des profils intéressés. Le problème vient de l’attractivité du secteur, qui diminue aux yeux des candidats. Pourtant, les enjeux que connaît le secteur devraient attirer ces derniers : les enjeux écologiques et technologiques, notamment.
Les startups qui proposent des produits et des services permettant aux professionnels de rendre leurs entreprises plus attrayantes ont de la valeur pour les pros de l’immo. Notamment si ça touche les étudiants qui arrivent sur le marché de l’emploi. Les nouveaux outils, les nouvelles technologies et les services qui créent du sens, qui font entrer les entreprises dans le 21e siècle feront la différence aux yeux des candidats de demain.
2. Penser les villes du futur
C’est leur métier. Il est clairement d’intérêt général et consiste en partie à anticiper les besoins des populations de demain en termes de logement, de travail, de divertissement et de soin. La population est plus technophile, plus esseulée, moins patiente, plus connectée…
Les usages changent et il faut les intégrer dans les lieux de vie de demain. Ces lieux vont rester dans le paysage plusieurs dizaines d’années (73 ans en moyenne pour un bâtiment). Un projet met plusieurs mois, voire années, avant de voir le jour. Il faut donc anticiper.
Les acteurs de la ville et de l’immobilier ont donc besoin de visions neuves pour les accompagner dans la création des villes de demain. Pas simplement d’un produit ou d’un service. Les startups de la Proptech doivent s’adapter et adapter leurs produits aux problématiques précises du professionnel, et à ses contraintes.
3. Innover
L’innovation est constante dans l’immobilier. Malgré ce que beaucoup de mauvaises langues tendent à partager. Déjà, elle est réglementaire. Il faut innover pour continuer à construire des bâtiments aux normes. Mais surtout, elle revêt plusieurs robes, et danse sur des temps plus ou moins longs.
On parle de différents types d’innovations :
- → dans la construction : matériaux innovants, impression 3D;
- → écologiques : éclairage naturel, agriculture urbaine, matériau coresponsable, bâtiments à énergie positive;
- → dans la transaction/location : dématérialisation, signature électronique, visites virtuelles;
- → dans la gestion des bâtiments : IoT, smartgrids;
- → dans la conception et le suivi : BIM, carnet numérique;
- → dans la recherche foncière : big data, algorithme;
- → financière : crowdfunding;
- → etc.
Toutes ne peuvent être intégrées dans un temps court. On peut plus facilement tester des choses sur un processus de vente pour voir si cela fonctionne, plus difficilement les intégrer à un bâtiment qui va exister des années durant. Les Proptechs doivent l’intégrer dans leur réflexion et dans la manière dont elles proposent leur projet aux pros de l’immo : « Qu’est-ce qui se passe si les locataires n’en veulent pas? Si les propriétaires n’en veulent plus au bout de 5 ans/10 ans? Si personne ne veut le payer? »
De nombreuses questions doivent être résolues avant qu’une innovation soit intégrée. Et ce n’est pas au professionnel d’y répondre. Il préférera ne pas intégrer l’innovation s’il n’a pas de certitude.
4. La transition écologique du bâtiment
Le bâtiment est le 1er poste de dépense en énergie et représente 27 % des émissions de CO2 en France. L’enjeu est considérable : construire durable, réhabiliter le parc existant, gérer les déchets, etc.
L’écologie est un réel cheval de bataille pour exister encore demain. Mais il y a encore tout à inventer. Et même si une partie du métier est partie intégrante du savoir-faire des professionnels, ils cherchent des solutions qui s’intègrent à leur processus, à leurs outils et viennent compléter les compétences qu’ils ont en interne. Tout en conservant une compétitivité forte.
5. Faire face à l’émergence des nouveaux modèles
Beaucoup de secteurs ont été touchés par la révolution numérique. Amazon (et le e-commerce, en général) oblige l’immobilier lié au commerce et à la logistique à imaginer de nouvelles solutions, de nouveaux services. L’immobilier de bureau a vu la puissance du coworking avec WeWork et ses 5 milliards de levés. Le coliving arrive. Autant de défis qui poussent les professionnels à se réinventer et à maîtriser de plus en plus de métiers, et des métiers différents. Les startups arrivent avec leur lot de solutions et de créativité.
Toutefois, il ne faut pas oublier que les constructeurs, les promoteurs ou encore les gestionnaires maîtrisent une grosse partie du métier. Même si ces métiers changent.
La startup doit s’adapter aux pros et ne pas faire une partie de leur métier. Un property manager ne voudra pas, par exemple, se séparer d’une partie de ses gestionnaires pour transposer la valeur dans la startup avec laquelle il travaille. Et c’est pareil dans tous les métiers.
6. S’ouvrir à l’international
Demain (pour ne pas dire aujourd’hui), le marché de l’immobilier sera international. WeWork et Airbnb sont des exemples forts dans le tertiaire et l’hôtellerie. Demain, ce sera la promotion, la construction et la gestion.
Par exemple, du côté de la construction et de la promotion, on voit déjà beaucoup s’exporter les Chinois, les Japonais et, sûrement, bientôt les Américains, notamment avec Katerra (1,2 milliard de dollars de levés depuis 2105) ou encore Blokable, qui a imaginé les IKEA de la construction. J’ai d’ailleurs trouvé surprenant de ne pas les voir au MIPIM. Voici une vidéo rapide pour ceux qui veulent comprendre leur business.
Bref, si j’écris tout ça, c’est parce que j’ai vu au MIPIM des pros de l’immobilier avides de solutions, mais qui ont identifié des risques réels. Ils ont besoin de services concrets qu’ils peuvent tester et mettre en place tout de suite, avant de s’engager dans le temps et d’engager leurs marques, ainsi que leurs constructions. Leur vision est à long terme.
Les startups, elles, ont besoin de retours rapides pour survivre et pour se développer. Se planter vite pour apprendre, pivoter et trouver leur modèle. Leur approche est à court terme.
Elles doivent donc avant tout écouter et comprendre les problématiques des professionnels. Identifier leurs besoins. Bien comprendre les périmètres d’intervention qu’elles peuvent avoir. Et trouver des fenêtres de collaboration efficaces.
Le pros de l’immo ont besoin d’exemples, de preuves :
- Sur ce bâtiment-là, vous avez telle problématique. On peut la résoudre comme cela.
- Dans votre process de vente, si on met la 3D à cet endroit, vous allez pouvoir économiser tant de temps, et donc tant d’argent.
Il faut mettre en place des tests. Et valider pour passer à l’étape suivante. Construire ensemble. Les startups vont aussi devoir aider les pros à recruter, et surtout, à former leurs équipes, pour monter en compétence et avoir des interlocuteurs capables d’évangéliser et faire comprendre l’intérêt des outils ou services.
De leur côté, les pros de l’immo doivent recruter, internaliser des compétences et avoir des budgets, mais aussi des équipes compétentes, pour mettre en place les tests. Ils doivent être en mesure d’ouvrir leur système de données et de mettre en place des sandboxes (bacs à sable ou terrains de jeu pour tester l’innovation), afin de prévenir le risque.
La réalité, c’est que, comme toujours, il y des dépenses à faire, des tests, des pertes de temps et des prises de risques. Il faut donner l’impulsion pour passer cette côte, et rester concurrentiel.
Aujourd’hui, la côte à monter est peut-être un peu plus grande, avec l’arrivée de la Proptech, et l’internationalisation des marchés. Le risque est de rester dans cette montée et de voir la concurrence dévaler l’adret à toute vitesse, raflant les parts de marché de ceux qui sont encore coincés du côté de l’ubac.
La balle est dans le camp des pros de l’immo. Et les startups doivent aider, accompagner et s’adapter si elles veulent survivre auprès des professionnels, voir leurs solutions être adoptées et les villes de demain changer avec elles!
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