Temps de lecture : 6 minutes
La Chambre des notaires travaille depuis des années son offre de dématérialisation, particulièrement à destination des acteurs de l’immobilier. Mais comment les notaires se sont-ils adaptés à la crise, et surtout, où en sommes-nous aujourd’hui? À l’occasion des Proptech Digital Days, le journaliste Patrick Lelong s’est entretenu avec Maître Cédric Blanchet, président de la Chambre des notaires de Paris pour faire le point.
Technologie et notariat : un couple vertueux récent?
Vertueux, certes, mais pas récent. Cédric Blanchet nous rappelle que cela fait déjà plusieurs années que le notariat s’investit dans un virage digital. Le décret ayant autorisé la création des actes authentiques électroniques date déjà de 2005. Ils ont été testés à partir de 2009 et déployés en 2012. Les études reçoivent aujourd’hui la plupart des actes de façon électronique. Ce virage « sans papier » a été l’une des évolutions importantes pour les notaires.
Aujourd’hui, la quantité d’informations et de documentations nécessaires pour régulariser un acte est plus volumineuse que jamais. Maître Blanchet considère donc le format électronique comme un net avantage. Il rappelle qu’un document, avec les annexes, peut faire plus de 200 pages…
L’innovation a-t-elle permis aux notaires d’utiliser ces technologies à distance?
Signer un acte de façon électronique était une nouveauté importante en 2005. Mais, comme on l’a vu pendant le confinement, la signature électronique a ses limites. Dans sa forme actuelle, elle oblige quand même les signataires à se déplacer dans une étude notariale pour signer.
La Chambre des notaires réfléchissait déjà depuis quelques années à la possibilité de signer des actes à distance. Comme dans plusieurs autres domaines, le confinement a accéléré les choses. Les notaires ont donc pu mettre en place des outils permettant à leurs clients de signer un certain nombre d’actes sans se déplacer.
Qu’en est-il de la sécurité et de la conservation des actes? Est-elle sûre?
Maître Blanchet le précise d’emblée : il n’était évidemment pas question pour les notaires de compromettre la sécurité juridique et l’efficacité des actes signés à distance. Les outils mis en place apportent toutes les garanties de sécurités pour qu’il n’y ait aucune différence entre une signature en présentiel et à distance. Ses collèges et lui sont très attentifs à ce qu’il n’y ait pas de dégradation de cette sécurité, ni juridique, ni technique.
Acte à distance et comparution à distance sont-ils synonymes?
Patrick Lelong enchaîne en mentionnant une certaine confusion entre acte à distance et comparution à distance pour les non-juristes. Maître Blanchet précise une distinction importante :
L’acte à distance est un acte reçu en présence physique des clients dans deux offices. Chacun des notaires impliqués reçoit ses clients physiquement à son étude. L’acte sera signé par le client dans une première étude, puis transmis pour être signé par l’autre client dans l’autre étude. Les deux clients sont donc physiquement présents dans les bureaux de chaque notaire.
L’acte avec comparution à distance est l’outil mis en place de façon temporaire durant le confinement et jusqu’au 10 août. Il permettait au client, avec un procédé de vérification de l’identité et de signature électronique, de comparaître et de consentir à l’acte sans être présent à l’office. Le client pouvait donc signer l’acte de chez lui ou de tout autre lieu qui n’est pas chez un notaire.
Ce procédé a été largement utilisé pendant le confinement. De mars au 10 août, ce sont près de 30 000 actes qui ont été signés avec comparution à distance.
Les notaires étaient-ils prêts pour ce type d’innovation?
Maître Blanchet et ses collègues étaient-ils prêts? Pas tout à fait. Le projet était en discussion avec la chancellerie et la mise en place des outils n’était pas tout à fait finalisée. Les notaires ont donc dû utiliser des outils qui n’étaient pas nécessairement les plus satisfaisants, mais qui ont permis de poursuivre leurs activités durant le confinement.
La comparution, la présence et la signature de l’acte en tant que tel n’ont évidemment pas été les seules difficultés auxquelles les notaires ont du faire face. Indépendamment de la signature de l’acte, la difficulté de déménager, de revisiter les lieux pour vérifier que tout est conforme et bien d’autres difficultés liées à l’achat et à la vente ont pu empêcher ou retarder la signature des actes durant le confinement.
La vigilance technologique des notaires depuis plusieurs années leur a tout de même permis de mettre en place assez rapidement un outil qui pouvait rendre service dans cette période de confinement.
Aller plus loin dans la dématérialisation
Sur la comparution à distance, le prochain chantier consiste à pérenniser les outils développés. L’objectif est évidemment de pouvoir continuer de signer des actes à distance. Maître Blanchet précise que la chancellerie travaille en ce moment même avec le Conseil supérieur du notariat sur un décret. Celui-ci permettra dans un premier temps de signer des procurations avec comparution à distance. Il s’accompagne également d’une réflexion sur les outils pour améliorer ce qui a été utilisé pendant la période de confinement.
Certains éléments essentiels, comme la vérification de l’identité, ne sont pas tout à fait aussi simples à attester à distance que dans un bureau. Ce type de préoccupation nécessite donc de réfléchir à des outils qui soient un peu plus sophistiqués pour assurer la sécurité.
Fonds d’innovation : quelle est sa vocation? En quoi consiste-t-il?
Dans cette période où beaucoup d’innovations technologiques se profilent, il a paru naturel pour les Notaires du Grand Paris de mobiliser des ressources. Ils ont donc créé un fonds d’innovation de 6 millions d’euros pour la recherche et développement. Ce fonds vise notamment à développer des outils basés sur l’intelligence artificielle pour continuer de servir leurs clients de la façon la plus efficace possible.
IA et notariat
Parmi les deux principaux projets de ce fonds, on compte d’abord le projet VictorIA. Les notaires collectent évidemment beaucoup de documents juridiques pour régulariser leurs actes, notamment sur les ventes immobilières. Depuis quelques années, les notaires classent ces documents dans une data room, ce qui nécessite un travail important. Le projet VictorIA mise sur l’intelligence artificielle pour reconnaître et classer ces documents de façon automatique.
Maître Blanchet précise que le projet est très ambitieux. Il faut d’abord collecter beaucoup de données et apprendre à l’IA à reconnaître chaque type de document.
Un deuxième projet, lui aussi basé sur l’IA, va permettre de réaliser des estimations en ligne le plus précises possible en croisant plusieurs sources de données immobilières.
Quand ces nouveaux outils pourront-ils voir le jour? Difficile de parler de timing, selon Maître Blanchet. Autant la durée de la période d’apprentissage de l’IA que celle du confinement risquent d’allonger les délais. Ces deux projets pourraient toutefois être bien avancés dans le premier semestre de l’année 2021. Les notaires sont résolument tournés vers l’avenir!
Vous devez être membres pour participer au débat
Cliquez ici pour vous connecter à votre compte Immo2
OU
Devenir membre Immo2 Premium