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Nous avons eu l’occasion d’échanger avec Armand Vartabedian, directeur du développement chez Keller Williams. On a parlé de l’impact et de l’avenir de la technologie sur le secteur immobilier. Cette dernière a façonné le métier tel qu’on le connaît aujourd’hui. Et elle est vouée à évoluer encore plus fort sur les prochaines années. Mais avec quels objectifs ? Quels sont les enjeux IT des entreprises immobilières en 2023 ? On revient sur tous ces éléments avec Armand dans notre article.
Tout a commencé pendant l’entretien vidéo que nous avons eu il y a quelques semaines. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, vous pouvez le revoir ici. 👇
À la fin de cet entretien, on s’est promis de parler de technologie. On l’a fait. Et tout a commencé par le sempiternel point sur l’évolution technologique du métier immobilier.
Immo2 : Comment la technologie a-t-elle évolué ou fait évoluer l’immobilier depuis que tu as commencé le métier ?
Armand V. : Je fais partie de la génération qui a découvert l’Internet pour l’immobilier. Cela a totalement transformé le secteur. Il y a eu une accélération complètement dingue de la technologie, notamment avec l’arrivée des logiciels. Ce qui m’a marqué, c’est qu’on nous a mis des outils dans les mains, qui étaient faits par des ingénieurs. On en a vite vu les limites. Pareil avec Internet et les portails, on se répétait sans cesse que l’on aurait fait autrement, que c’était trop complexe. Au final, la tech nous a quand même permis de faire beaucoup de choses chronophages beaucoup plus vite. Mais elle est longtemps restée très compliquée à utiliser pour l’agent immobilier en fin de compte. Ça a été la première phase d’innovation technologique dans l’immobilier. Au fur et à mesure, tout le monde s’est rendu compte que la technologie devait être au service des agents. Si la technologie n’est pas au service des conseillers, ils ne sauront pas l’utiliser. Et c’est cette deuxième vague technologique que l’on vit aujourd’hui. On fait maintenant de la technologie pour les conseillers. Et les demandes évoluent sans cesse, au même rythme que le métier et les attentes clients. Avant, la technologie, on devait tout faire à la main. Aujourd’hui, la technologie est interconnectée. Elle permet de faire beaucoup de choses, mais il y a de nombreux défis à relever.
Immo2 : Et justement, quels sont ces défis ?
Armand V. : Les défis sont nombreux, mais si je devais les résumer, j’en définirais 4 :
- Donner le pouvoir de faire aux agents;
- Développer des outils qui rendent service aux conseillers et à leurs clients;
- Créer une technologie la plus proche possible des besoins du terrain, qui changent de manière permanente;
- Construire un véritable écosystème pour les conseillers.
Donner le pouvoir de faire aux conseillers immobiliers
Armand V. : Le combat numéro un est de rendre plus performant les agents. C’est eux qui savent quoi faire, quand et comment pour gérer leur business. Notre rôle est de leur donner les outils pour le faire le plus simplement possible. Prenons l’exemple de la newsletter. Aujourd’hui, on leur permet de créer une newsletter en 3 clics seulement, et de programmer un envoi tous les 15 jours, par exemple. L’objectif est de donner les outils pour faciliter et fluidifier la communication. Dans myKW, on a une cellule qui s’appelle MyContent. Derrière, ce sont des équipes dédiées qui créent du contenu pour que les conseillers puissent communiquer. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les professionnels de l’immobilier ne sont pas des professionnels de la communication. On met donc à leur disposition des outils pour qu’ils puissent créer rapidement les formats, et du contenu pour qu’ils puissent remplir ces formats. On leur fournit du contenu pour leur recrutement, du contenu pour les acheteurs, pour les vendeurs, etc.
Pour rappel, notre modèle est spécifique, puisque tout tourne autour de l’agent. L’agent, c’est la marque; Keller Williams ne fera pas de pub en télé. La seule marque qui compte, c’est l’agent. On est donc focalisé sur le fait de lui fournir les meilleurs outils.
Si tu veux d’autres exemples, on en a plein. On a par exemple développé tout le système autour des contrats et de leur signature, électronique bien entendu, pour leur permettre de gagner un maximum de temps. On peut aussi parler du conseiller qui veut organiser une porte ouverte. Il peut vouloir communiquer à tout son fichier, ou seulement à certaines personnes de son fichier, il veut poster sur les réseaux sociaux, etc. La tech doit rendre ça hyper simple. L’objectif est clair : leur faire gagner un maximum de temps pour qu’ils puissent se concentrer sur ce qui importe le plus : leurs clients.
Construire de la tech en BtoBtoC
Armand V. : Aujourd’hui, la relation client est clef. Et la technologie devient centrale dans ce constat. Elle en train de s’interconnecter en BtoBtoC. C’est-à-dire qu’elle rend service au conseiller en fournissant automatiquement le contenu aux clients finaux. Par exemple, le suivi de vente avec des éléments comme les comptes rendus de visite, ou la récolte des documents. Ce sont des choses que la tech simplifie énormément. Et on répond au besoin d’autonomie des vendeurs. Autant qu’à leur besoin de réactivité. Avant, 48 h, c’était le délai moyen de réponse à une requête client. Aujourd’hui, en 2, 3 h, ton prospect se retourne vers un autre conseiller. Les clients ont besoin de réactivité, et d’autonomie.
Si on prend un autre métier proche de l’immobilier : l’automobile.
Avant, tu allais voir le concessionnaire pour tout; aujourd’hui, tu fais ta voiture en ligne et tu vas en concession ensuite. La technologie doit donc prendre en compte la relation entre le professionnel de l’immobilier et son client. Les interactions entre les deux évoluent avec la technologie, et les besoins aussi. L’objectif est d’améliorer l’expérience du conseiller immobilier en améliorant l’expérience qu’il fait vivre à ses clients.
Créer une tech proche des besoins du terrain
Armand V. : Les conseillers immobiliers sont de plus en plus exigeants avec la technologie qu’on leur propose. Et c’est une bonne chose. On se doit donc d’être réactif et de changer notre processus de livraison de nouvelles fonctionnalités.
Chez KW, on est plus de 20 personnes dans l’équipe tech. KW France est propriétaire de sa technologie. C’est un choix que l’on a fait tout de suite, à la création. Car c’est seulement comme ça que l’on sera près des besoins réels des agents. Si le CRM est fait par des informaticiens dans leur tour d’ivoire, tu vas vite être éloigné de ce que veulent les pros sur le terrain. L’énorme avantage d’être propriétaire de la tech, c’est qu’on peut fonctionner en mode laboratoire. On n’a pas besoin d’attendre que toutes les fonctionnalités du CRM soient développées. On crée des capsules « labs » avec des représentants opérationnels pour tester et valider les fonctionnalités. Et si c’est validé, on déploie ensuite à grande échelle. Ça nous permet de développer au fil de l’eau, et de nous adapter aux retours du terrain.
On aurait pu choisir d’utiliser le CRM de KW US qui s’appelle Command, qui est génial. Mais cela ne nous aurait pas permis de nous adapter aux spécificités du terrain et aux besoins de nos conseillers. On a préféré développer notre propre outil, et on vient chercher les meilleures fonctionnalités de l’outil américain, grâce aux API. Par exemple, on s’appuie sur Command pour l’envoi de « referrals ». Comme on est un réseau international, il faut qu’on puisse faire communiquer tous les CRM de chaque pays et que chacun ait les mêmes règles, pour se partager des clients de pays à pays. Passer par un outil solide qui a fait ses preuves sur ce sujet, ça simplifie tout. On a d’ailleurs beaucoup de retours d’anciens négociateurs d’agences qui nous disent que c’est la première fois qu’ils arrivent à utiliser le système de referrals. En ce moment, on a beaucoup de business qui viennent du Japon, ça fluidifie beaucoup les ventes pour les biens de luxe d’avoir un système de referrals costaud. D’autant que les enjeux sur ce sujet sont assez forts, notamment avec la mobilité nationale et internationale, qui évolue sans cesse. Tout ça pour dire qu’on essaie d’allier le meilleur des deux mondes : des systèmes solides qui ont fait leurs preuves, et une technologie dont on est maître pour faire évoluer rapidement le CRM, en fonction des remontées du terrain, main dans la main avec nos conseillers.
Construire un écosystème
Armand V. : Un des environnements techniques qui fonctionne le mieux et qui est le plus innovant, c’est celui d’Apple. Pourquoi ? Car ils maîtrisent totalement leur écosystème. On les a beaucoup critiqués, car ils sont fermés, mais aujourd’hui, on sait aussi que c’est ce qui fait leur force. Demain, les réseaux les plus forts sont ceux qui proposeront un véritable écosystème, et qui maîtriseront totalement leur environnement. Alors, bien sûr, cela a des avantages, mais aussi des inconvénients. Car dès que tu sors de l’écosystème, tu perds les avantages de l’écosystème. C’est une des premières choses que l’on explique aux nouveaux entrants chez nous. Si tu ne te sens pas à l’aise avec l’écosystème, ça ne vaut pas le coup de venir chez nous. Tu perdras trop de temps à passer d’un environnement à l’autre. Mais si tu utilises l’écosystème, tu seras deux fois plus performant que les autres. L’écosystème ne se limite pas qu’à la technologie. C’est un tout. Par exemple, si tu ne maîtrises pas les outils tech, c’est plus dur de recruter et de manager, car tu ne peux pas t’appuyer sur l’outil pour rendre tes collaborateurs autonomes. Pour rappel, les conseillers sont nos clients. C’est eux qui paient, ils sont donc responsabilisés et utilisent mieux les outils, car ils sortent de l’argent pour ce faire. Notre objectif est de les accompagner à devenir des entrepreneurs aguerris, qui savent investir. Et de l’autre côté, on est en lien direct avec eux. Donc, quand ils achètent quelque chose, on est responsable de la qualité du produit, on ne les laisse pas se débrouiller avec un fournisseur quelconque. C’est gagnant-gagnant.
Immo2 : Et quels sont les défis de demain ?
Armand V. : Pour le moment, je vois deux enjeux principaux. Le rôle de la tech est de fournir toujours plus de business pour le professionnel de l’immobilier. La suite logique est de lui permettre de gérer ce business supplémentaire qu’on lui fournit. Demain, on proposera de vrais assistants tech pour rendre les professionnels 5 à 10 fois plus efficaces qu’aujourd’hui.
Générer du business pour les pros de l’immo
Armand V. : Concernant la génération de business, ce n’est pas compliqué. Aujourd’hui, on est capable des cibler les clients sur Internet. On peut bosser sur la recommandation grâce aux outils technologiques. On sait aussi beaucoup mieux qualifier des projets de vente, ou d’achat. Tous ces outils permettent de générer beaucoup de business online. Demain, ce sera encore plus important. On doit donc continuer à développer des outils puissants pour apporter toujours plus de business aux conseillers immobiliers sur le terrain.
Créer l’assistant tech de l’agent immobilier
Armand V. : Qui dit plus de business dit que les conseillers doivent être plus efficaces pour traiter les clients. Je l’ai dit et répété, mais la technologie doit être au service des gens. On doit les rendre plus performants. On parle beaucoup d’intelligence artificielle, il faut qu’elle soit utilisée comme une aide à l’agent. Elle doit apporter du concret. Prenons un exemple. Dans les phases de sélection de produit, l’agent se base sur un champ de référence (clair, calme, grand, éclairé, vue dégagée, etc.), mais le champ de référence n’est pas le même pour tous les clients. Tout est une question de perception. Une vue dégagée, ça veut dire des choses très différentes selon que tu vis à Paris ou au bord de la mer. L’intelligence artificielle n’a pas ces biais. Elle va donc pousser vers l’agent d’autres idées qui sont « hors de ses œillères ». L’IA n’a pas de jugement.
Derrière les promesses de l’IA, le défi est aussi du côté du conseiller. On doit proposer des outils simples, car l’intelligence artificielle a besoin de données pour fonctionner. Il faut donc que les pros fournissent ces données et remplissent le logiciel. C’est un très gros sujet.
Dans notre vision de demain, l’intelligence artificielle deviendra un réel assistant pour le professionnel, notamment en termes de suivi client. L’intelligence pourra faire le suivi avec le pro, sur un mode conversationnel. Aujourd’hui, Command, le CRM de Keller Williams aux États-Unis, permet déjà de faire des choses bluffantes. Tous les pros ont accès à Kelly. C’est une application installée sur le téléphone et le conseiller peut questionner à la voix pour lui demander de sortir des informations. C’est comme Siri, mais pour l’immobilier. L’agent demande : « Donne-moi la liste des transactions ». Et Kelly lui sort la liste, peut lui envoyer par mail, etc.
L’objectif est de créer un assistant virtuel intelligent pour les agents, qui pourra demain interagir aussi avec les clients…
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