Temps de lecture : 10 minutes

On a commencé à parler de ibuying dès 2014 sur Immo2, avec le lancement d’Opendoor. En 8 ans, les choses ont beaucoup évolué. On a vu la concurrence arriver, l’offre se muscler, le nombre de biens achetés et vendus en ibuying croitre à vitesse grand V, des ibuyers se lancer en France, en Italie, en Suède et ailleurs en Europe. La suite logique a été le lancement de grandes marques dans ce nouvelle tendance, la faisant passer d’épiphénomène à tendance du secteur. Parmi les noms notables, on a Keller Williams, Redfin et bien entendu Zillow, le leader des portails immobilier aux US.

Mais depuis 1 mois, tout le monde remet en question le modèle. Zillow l’a abandonné !

Avant d’aller plus loin, petit rappel en 3 minutes de ce que sont les ibuyers.

En résumé :

  • Ce sont des sociétés qui rachètent les biens directement aux particuliers sur la base d’algorithme.
  • Ils s’occupent de rafraichir le bien et le remette en vente sur le marché.
  • Et ils industrialisent ce process.

Pour vous donner un idée, aux États-Unis, le ibuying représentait 1,6% des ventes sur le marché américain au troisième trimestre 2021, et plus de 10% dans une ville comme Phoenix. Mais au dernier trimestre, chamboulement, Zillow annonce qu’il arrête !

L’arrêt de Zillow

Tout s’est passé très vite. Le 19 Octobre, ils annoncent qu’ils arrêtent d’acheter des maisons jusqu’à la fin de l’année. Et le 2 novembre, ils annoncent qu’ils arrêtent définitivement le ibuying.

En regardant les chiffres de plus près, on voit que Zillow a perdu 381 milions de dollars sur le 3ème trimestre 2021 sur son offre de ibuying. Ils se retrouvent alors avec 17 000 maisons sur les bras, et commencent à en brader une partie. Je vous invite à retrouver mon analyse et le débat sur Linkedin.

Le 30 novembre, ils annoncent qu’ils annulent 400 contrats signées avec des propriétaires, qui avaient signés car ils étaient sur de toucher l’argent (c’est la proposition de valeur numéro 1 su ibuying). Ils sortent donc de ce business en laissant des pots cassés derrière eux. Mais pourquoi?

Pourquoi Zillow a dû quitter le ibuying?

On a déjà parlé de chiffres. La réalité est que Zillow a perdu 1 milliard d’euros en 3 ans et demi sur le ibuying. Ils ont dû se rendre à l’évidence, c’est un échec.

Les raisons principales de son arrêt sont :

1 – En 2021, l’accélération a été énorme. Ils ont acheté au 3ème trimestre 2021 plus de biens que sur les 18 derniers mois. Cette accélération a forcément accélérer les pertes.

Nombre d’achats via l’ibuying de Zillow au cours des 2 dernières années

2 – Un problème d’algorithmes : les taux de conversion ont été surestimés par rapport au prix de revente réel et il y a eu de nombreux achats trop chers non intentionnels. N’oublions pas que c’est une machine derrière et que l’erreur peut vite devenir industrielle. Dans le même temps, Offerpad et OpenDoor ont acheté moins cher, en comparaison, sur des biens similaires. Ils ont donc fait de meilleurs marges. Au final, Zillow n’a pas baissé ses prix d’achat aussi vite que ses concurrents et a perdu donc beaucoup.

Evolution du prix d’achat des biens en ibuying en 2021

La conclusion est que quand les ibuyers ont commencé à être un peu rentable, Zillow continuait de perdre des sous.

Un problématique de pricing que n’avait pas la concurrence

Si on veut rentrer précisément sur le pricing, l’algorithme de Zillow était moins bon que celui de la concurrence. La force des ibuyers est justement de bien définir le prix des biens aujourd’hui et surtout dans le futur.

Pour calculer la qualité de leur algorithme, le plus simple est de redescendre ça au réel : quel prime sur une revente? On prend le prix actuel des biens en listings, et on regarde s’ils sont plus chers que ceux auxquels ils ont été acheté.

Et quand on regarde en détail, Zillow a fait beaucoup plus d’achat à perte que son concurrent principal : OpenDoor. En effet, Zillow restait à perte là où OpenDoor passait sa prime entre l’achat et le listing de 5,5 à 7%.

Plus value entre l’achat et le prix sur listing des biens en ibuying

Quand on sait que les biens en listing se revendent globalement un peu moins cher que le prix affichés, on imagine vite les dégâts sur une entreprise qui industrialise ces achats.

La force d’OpenDoor a été de mieux maitriser ses plus values et de réussir à aller chercher des rentabilités jusque 30% sur certains biens, là où Zillow peinait à dépasser les 10%.

Pourcentage des biens classé par plus value à la mise en listing

La question est maintenant : le départ de Zillow du ibuying est-il annonciateur de la fin du modèle ou d’un boulevard pour les acteurs encore en place ?

Quelle suite pour les ibuyers ?

C’est simple. Zillow s’arrête. Ça fait donc plus de place pour les acteurs en place, mais ça fait un acteur de moins au fort potentiel de démocratisation pour éduquer le marché (le marché reste encore très petit).

Opendoor et ses concurrents, Knock et OfferPad pour ne citer que les plus gros vont devoir encore plus faire attention et convaincre les investisseurs et les clients de la pérennité de leur modèle.

Pour cela, ils vont devoir faire attention à plusieurs éléments.

La qualité de leur algorithme de pricing

C’est le nerf de la guerre pour les ibuyers. C’est même un prérequis indispensable, et ce doit rester le focus principal s’ils veulent être en mesure de fournir le service à leurs clients.

Le process de revente

Le timing de revente est un des points clefs de ce business. En effet, le ibuyer achète le bien et doit le revendre rapidement. Car pendant ce laps de temps, il est propriétaire du bien. Plus les biens sont gardés longemps, plus il en a sur les bras et plus les couts de gestion des stocks est importante (gestion des acheteurs, entretien des biens, etc. ). Mais surtout, plus il est propriétaire de biens à un instant T, plus il est en risque face à un retournement de marché !

Le développement de nouveaux marchés

Plus un acteur sera sur des marchés différents, plus il devisera le risque d’un retournement de marché local. Les crises globales deviendront leur principal risque. Ils sont en train d’en affronter une. On aura vite les chiffres face à celle-ci, même si le marché de l’immobilier s’est plutôt bien porté.

Diversifier la revente des biens

Aujourd’hui, les ibuyers revendent un bien sur 5 à des investisseurs. Voilà la réalité aux États-Unis. C’est bête mais ça permet d’assurer de ne pas perdre de sous. Dans certaines zones, ça monte même jusqu’à 60%. Et c’est évidemment dans des quartiers pauvres, à fort potentiel de gentrification. Ce sont donc des investisseurs qui portent le risque, et s’enrichiront là dessus, au détriment potentiel des populations locales. Les ibuyers ont tout intérêt à ne pas trop dépendre des investisseurs s’ils veulent la pérennité sur le long terme. Et à construire un modèle sain pour eux, pour les acheteurs, les vendeurs et les habitants de leur marché, s’ils veulent éviter la mauvaise presse.

Développer l’apport d’affaire

Tous les ibuyers ont mis en place des deals avec des professionnels de l’immobilier local. Leur objectif numéro un reste de rentrer un maximum de mandat, et ce peu quelle que soit la manière. Ils doivent donc mettre en place des deals gagnant/gagnant, représentant eux aussi une mine d’or d’entrée de mandat, en sachant qu’aujourd’hui la très grande majorité des gens qui font une demande d’offre sur leurs sites ne le revendent pas directement. Ils préfèrent le vendre plus cher.
Les ibuyers vont devoir éduquer, accompagner et écouter les professionnels de l’immobilier pour que les offres coexistent et soit le plus complémentaires possibles. Les agents immobiliers ont aussi certainement un intérêt à faire des deals avec les ibuyers…

Trouver des revenus complémentaires

Comme pour tous les pros de l’immobilier, l’enjeu de demain pour les ibuyers est qu’il est un acteur central au delà de la transaction pure. Les clients immobiliers ont aussi besoin très souvent d’un crédit, de déménager, de racheter des meubles, de changer de forfait internet, de travaux, de déco, etc.
En diversifiant ses activités, les ibuyers pourront faire plus de bénéfices sur les transactions et absorber les risques liés au changement d’algorithmes ou de marché.

La vision d’Immo2

Pour finir, je prends mon risque et je vous partage ma vision :

  • L’offre de ibuying résout un vrai problème pour le vendeur et commence à apporter de la valeur aux acheteurs (notamment avec des garanties sur le bien)
  • Demain, les vendeurs auront un filet de sécurité pour vendre leur bien avec un prix plancher proposé par un acteur du ibuying. Cette offre fait sens et vient compléter celle de l’agent immobilier.
  • Les ibuyers, de par la nature de leur offre, sont en capacité d’identifier très tôt les vendeurs, et donc de les accompagner sur l’ensemble de la chaine de valeur et même sur l’ensemble du parcours immobilier ; ils ont aussi des biens à leur vendre.
  • Mais le business n’est pas encore craqué, et il faudra du temps et beaucoup de cash pour en faire une activité pérenne. Beaucoup vont tomber comme Zillow l’a fait. Peut-être tous. Et l’offre renaitra sous une autre forme.
  • Celui qui réussira à assurer la pérennité d’une telle entreprise, au delà d’être ultra financé, devra être « skin in the game » comme on dit. Il devra prendre de vrai risque pour aller bout.

Zillow a semé le doute sur la planète ibuying, mais les concurrents sont encore debout. L’offre continue d’exister un peu partout dans le monde. C’est bien de s’y intéresser et de comprendre pourquoi autant d’acteurs se lancent dans cette course, quitte à risquer une belle déconvenue… Ça vient du besoin client. Comme très souvent.

ibuyer-proptech-zillow-opendoor-immobilier-mort

à propos

Article rédigé par Vincent Lecamus

Passionné par l'innovation, Vincent est en veille constante pour dénicher les technologies et tendances qui vont impacter le secteur immobilier. Quand Vincent n'est pas occupé comme journaliste sur Immobilier 2.0, il développe de nouveaux projets entrepreneuriaux et coach des ... Lire la suite

Vous devez être membres pour participer au débat

OU

Devenir membre Immo2 Premium