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On ne va pas se mentir : le mot clef Proptech a fait le buzz en 2018. Alors, il y a de grandes chances qu’il continue sur sa lancée en 2019. Au-delà d’aller grappiller quelques places en termes de référencement, je trouvais intéressant de commencer ma série d’éditos par un point global sur la Proptech en ce début d’année. Quels sont les projets à suivre? Quelles sont les menaces? Quelles sont les opportunités? Quelles sont les entreprises surcotées? Quelles sont celles qui vont faire la différence? Voilà votre tableau de bord pour piloter votre veille sur l’innovation immobilière à l’échelle mondiale. Let’s Go!

Les industries de la musique, du voyage et de la banque, entre autres, ont été disruptées. À quand celle de l’immobilier? Voilà la question d’ouverture de beaucoup de conférences, ou de papiers. Mais la réalité de ces métiers n’est pas la même. Et l’impact non plus. Je ne sais pas si vous avez fait attention, mais il y a encore des agences de voyages, avec des conseillers à l’intérieur. Pareil pour les agences bancaires. Alors, oui, la technologie a changé la donne, mais pas autant que les prédicateurs de l’apocalypse voudraient le faire croire. Une raison simple à cela : les robots n’ont pas déclaré la guerre à l’être humain, mais à l’improductivité!

D’autant plus que l’immobilier aura beaucoup de mal à se passer de l’humain.

La productivité des professionnels au cœur des attentions

Par contre, les professionnels de l’immobilier se sont reposés pendant trop longtemps sur leurs lauriers, sans se rendre qu’ils pouvaient être l’assaisonnement avec lequel ils allaient être mangés. Heureusement, depuis plusieurs années, de nombreux acteurs focalisent sur leur productivité. Les réseaux de mandataires – Compass, Keller Williams, DigitRE, etc. – ont tous lancé des offensives sur la techno, levé ou créé des fonds pour développer la techno et y intégrer l’intelligence artificielle qui boostera la productivité de leurs agents. Les réseaux d’agences immobilières traditionnelles aussi continuent d’investir et de lancer des outils. Et pour les indépendants, ce sont les prestataires qui proposent des services innovants pour se démarquer.

Robert Reffkin, PDG de Compass, annonçait que la productivité des agents allait être multipliée par 10 grâce à l’IA d’ici 5 à 10 ans. Aujourd’hui, les agents ont accès à des outils pour savoir qui aller prospecter, qui rappeler, préqualifier leurs prospects, optimiser leur suivi client, préparer ou déléguer leurs visites, leurs états de lieux et gagner du temps sur place, etc. Et tout ça, grâce à la technologie. Demain, une partie sera automatisée : les relances, les prises de rendez-vous, la gestion des incidents et la comptabilité, la relation client et une partie de la prospection. Beaucoup de ces outils sont déjà sur le marché, mais il faut encore les mettre en musique avec la réalité des professionnels de terrain, et c’est ça qu’il faut suivre en 2019. Cela viendra-t-il des réseaux, déjà organisés, ou des startups plus agiles? Chacun a ses avantages.

Les startups ont d’ailleurs changé de forme. De nombreux acteurs ont décidé de passer le pas et de créer les concurrents des professionnels, sur toute la chaîne de valeur. Et le surfinancement de ces acteurs, c’est ce qu’il y a eu de nouveau en 2018.

La concurrence des professionnels de l’immobilier devient de plus en plus solide

Il y a 4 ou 5 ans, les agents immobiliers s’enflammaient pour la montée en puissance des réseaux de mandataires. Aujourd’hui, ils font partie du paysage immobilier et ce ne sont ni plus ni moins que des professionnels de l’immobilier traditionnel, avec un modèle d’organisation légèrement différent. D’ailleurs, beaucoup des meilleurs mandataires sont d’anciens négociateurs ou managers d’agences immobilières. Le modèle américain arrive aussi en France, avec Keller Willams et Keymex, qui va bientôt lancer sa franchise. À titre personnel, je vois de plus en plus d’agences performantes se tourner vers un modèle hybride, essayant de tirer le meilleur de chacun des modèles : le pas de porte dans un lieu de passage avec une permanence et des bureaux avec services pour des mandataires ou des négociateurs plus présents sur le terrain.

Mais la concurrence qui frappe aux portes n’est pas qu’une réorganisation du marché. Les acteurs viennent d’Amérique, d’Angleterre, de Chine, d’Australie ou du Japon. SoftBank a décidé de donner les moyens aux startups d’aller chercher les places de numéro un sur de nombreux secteurs. WeWork et ses 12,8 milliards de dollars levés réinventent l’immobilier d’entreprise, sur l’ensemble de la chaîne de valeur et crée de nouveaux modèles. Compass, avec 1,2 milliard, attaque la productivité des agents. Et Opendoor, fort d’un milliard de levés, veut remplacer la vente immobilière, en rachetant lui-même les biens des particuliers.

Enfin, Purplebricks, 190 millions de dollars levés (il n’est pas financé par Softbank, mais par Axel Springer; les montants ne sont donc pas les mêmes), remet en question les honoraires et la valeur ajoutée des agents immobiliers. Tous ces acteurs ont déjà de la concurrence dans de nombreux pays, dont la France, la Suisse ou le Canada. Même les acteurs traditionnels se sont lancés. Par exemple, Keller Williams a monté un fonds de 1 milliard pour contrer la puissance de Compass et est en train de tester son propre iBuyer, en réponse à Opendoor. D’autres gros noms comme Zillow, Redfin ou Realogy (Century 21, ERA, Coldwell Banker, notamment) sont aussi dans la course.

Les modèles immobiliers vont donc changer en profondeur, de la commercialisation à l’utilisation même des bâtiments.

Spaas : les retours des cocos dans l’immobilier

Colocation, coworking, coliving… Les espaces sont de plus en plus partagés. Et les modèles de business ont évolué. On parle maintenant de « Space as a Service » : on commercialise l’immobilier comme un service. The We Company (le nouveau nom de la holding de WeWork) est l’un des pionniers, tant avec WeLive qu’avec WeWork, a avoir pensé l’immobilier ainsi. On ne vend plus des mètres carrés pour un temps déterminé à un prix à déterminer, mais un lieu avec des espaces partagés, des services partagés, et potentiellement des espaces privés, pour un prix mensuel fixé à l’avance. On fait vivre les lieux autrement et on vend autant l’immobilier que l’expérience qui va avec et la communauté qui l’entoure.

Tout a commencé avec la colocation. Ce sont les particuliers qui se sont organisés quasiment eux-mêmes. Et des entreprises ont vu le jour ensuite pour leur offrir des services. Aujourd’hui, de simples plateformes de colocation lèvent 30 millions de dollars via des acteurs de la Silicon Valley. Cela prouve que c’est devenu une norme. Les salariés représentent maintenant quasiment 50% des colocataires dans la capitale française.

Le palier d’après, c’est le coliving. Il s’agit de colocation, mais louée avec du service en plus. Le modèle est en train de faire des émules, notamment The Collective, qui s’installe à New York pour concurrencer WeLive, ou encore Cohabs, qui comptera 21 lieux de coliving à Bruxelles d’ici la fin de l’année. Encore plus fou, Medici, une entreprise berlinoise, vient de lever 1 milliard de dollars pour créer des espaces de coliving dans les plus grandes villes européennes. Les lieux se multiplient et les initiatives aussi. On est à l’aube de l’avènement du coliving. L’apogée sera dans quelques années, quand de nombreux espaces fermeront, comme c’est le cas pour le coworking aujourd’hui, ne laissant que les meilleurs concepts (et les plus financés) consolider leurs places sur le marché.

Derrière ces levées de fonds impressionnantes, il y a un élément important à comprendre. En louant les espaces comme des services, les nouveaux orpailleurs de l’immobilier seront (ou sont déjà) capables d’agréger et d’exploiter les données d’utilisation des lieux. Ils connaissent alors les besoins, et les envies des locataires. Demain, ils pourront leur vendre plus de services, plus personnalisés, directement chez eux.

Notamment avec l’explosion de l’IoT, des smart bâtiments et des smart homes.

Le futur du bâtiment sera technoécologique, et personnalisé

Les promoteurs immobiliers testent leurs idées en grandeur nature : des jardins, des salles de sport ou encore des chambres d’hôtes partagées. Tout ça prend du temps, entre l’idée et l’aménagement des futurs occupants dans les logements. On a bien Katerra, financé à hauteur de 1,2 milliard de dollars, qui veut réduire ce temps en automatisant la construction et en généralisant celle offsite, mais il faudra quand même compter avec les retours des habitants. Habx veut résoudre ce problème en intégrant les particuliers directement dans la phase de conception de leur logement et des espaces partagés. Ils ont levé 10 millions en février dernier. Ça peut faciliter la prise en main des lieux ensuite. Quoi qu’il en soit, il y a encore des écarts entre la théorie et la pratique, et la gestion de la copropriété s’avère souvent plus compliquée avec les espaces partagés. Les solutions viendront de la maîtrise des coûts (car le point est souvent essentiellement financier).

Et là-dessus, les objets connectés amènent un début de solution. Le CES (le salon incontournable de Las Vegas) a fait la part belle aux smart homes, aux smart bâtiments et à la smart city. Avec l’IoT (Internet of Things), on sera demain capable de gérer les incidents différemment : des capteurs sur les ascenseurs ou les tuyaux d’eau optimiseront la maintenance, les espaces partagés se réserveront simplement et chacun paiera selon son utilisation de manière automatique. Maintenant, il faut tout connecter et s’assurer que ça tiendra dans le temps. De nombreuses questions se posent sur la responsabilité de chacun : qui paie la maintenance des équipements? Que se passe-t-il si le système est défaillant un jour, une semaine? À qui appartient la donnée générée par le bâtiment? Par le logement particulier? Et quelles seront les normes demandées demain par la ville pour se connecter à elle?

Il faudra répondre à ces questions avant de pouvoir vendre des biens immobiliers connectés aux particuliers et pouvoir leur apporter (leur vendre en réalité) des services supplémentaires directement dans leurs biens. On va donc observer les initiatives, et leur financement, avant de voir des biens qui s’autogéreront pour le plus grand plaisir de leurs propriétaires.

La gestion automatisée de son patrimoine

« L’immobilier ne peut pas être perdu ou volé, et il ne peut pas être emporté. Acheté avec bon sens, payé en totalité, et géré avec raison, il est le placement le plus sûr du monde », disait Franklin Roosevelt. Mais aujourd’hui, la data et les algorithmes pourraient presque remplacer le bon sens et la raison. Des outils comme VTS (97 millions de levés) remportent tous les prix depuis 2014, car ils donnent le pouvoir aux propriétaires de tout savoir en temps réel sur leur bien immobilier, et aident aux décisions qui font vivre ces derniers : achat, vente et location.

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La donnée est plus que jamais le nouveau pétrole; l’immobilier est l’un des secteurs les plus avides de data. Se pose donc la question de la maîtrise de cette dernière. Qui la créé? Qui peut l’exploiter? Qui représente un danger? L’interopérabilité des systèmes est nécessaire. Pour innover, la donnée ne peut plus être bridée, au risque de desservir l’utilisateur, et notamment le professionnel de l’immobilier. Maintenant, l’arrivée des GAFA dans le secteur immobilier est une menace : Facebook, Google et Amazon sont les rois de la data et seraient capable de prévoir une vente de bien avant qu’elle arrive. Qu’adviendrait-il s’ils ont accès à cette data? On sait qu’ils souhaitent avancer dans l’immobilier, ne serait-ce que pour toucher le client chez lui, dans son bien, mais aussi probablement se découper quelques parts du gâteau, au passage.

La Proptech attire les fonds, les grandes entreprises et les entrepreneurs avec. L’immobilier intéresse de plus en plus d’acteurs, aussi issus d’autres secteurs. Et d’autres pays, la mondialisation aidant autant que l’accès à la donnée ou l’évolution des transports et des modes de travail. Mais le terrain et la localité restent primordiaux. Et les professionnels de l’immobilier maîtrisent ce terrain et cette localité, comme une barrière à l’entrée. Une barrière qui ne doit pas constituer un enfermement, qu’il faudrait ouvrir suffisamment pour que chacun profite du savoir-faire des autres, et qu’elle ne devienne pas un enclos, au détriment des utilisateurs et de l’avenir de la profession.

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à propos

Article rédigé par Vincent Lecamus

Passionné par l'innovation, Vincent est en veille constante pour dénicher les technologies et tendances qui vont impacter le secteur immobilier. Quand Vincent n'est pas occupé comme journaliste sur Immobilier 2.0, il développe de nouveaux projets entrepreneuriaux et coach des ... Lire la suite

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